C’est une femme jeune, un peu moins de quarante ans. Je l’avais déjà vue trois fois, lors de sa précédente hospitalisation, en remplacement d’un collègue.
Elle était de retour, traitée pour un cancer, ré-hospitalisée à cause d’une température rebelle, et d’un état général qui se dégradait.
J’ai repris mon travail silencieux avec elle: un massage lent, attentif de son cou, de son épaule et de son bras du côté douloureux. C’était un Lundi. J’ai été voir les médecins : son cancer flambait. Il n’y avait plus rien à faire. Son traitement était maintenu, par acquis de conscience; et pour elle.
Elle comptait en effet sur la médecine et le traitement, n’envisageait pas un échec ni une fin prochaine.

En même temps que je la massais, je la guidais vers un état de conscience détendue. Je travaillais aussi sur les "énergies", expérience difficile à décrire, mais basée sur la perception d'un champ d’énergie autour de l'être. Il est fonction de son état et réagit avec les champs et les ambiances environnants.
Elle vivait, grâce à ce travail un état de bien-être et d'apaisement, que rien d'autre ne lui donnait.

Le Mercredi, elle était très fatiguée, mais encore cohérente. Mon travail l'accompagna encore. J'étais étonné par le bien-être qu'elle ressentait, dans l'état physique où elle était. Et aussi par son abandon, son extrême confiance, la rapidité avec laquelle elle plongeait dans cette intériorité, si mystérieuse et profonde. Les gens en meilleure santé vivent rarement une telle profondeur, aussi facilement, aussi délibérément.

J'étais touché. Elle se confiait vraiment dans ce travail, bien au-delà ce qui est habituel.

Était-elle accueillie dans un état de conscience si profond, qu'il en était au-delà de la pure conscience corporelle ? . . . Était-ce dû à la proximité de la mort ?

Jeudi matin, je revins la voir. Elle était tranquille dans son lit, réagissait quand on lui parlait, mais était inintelligible. Elle semblait parler seule.

Je restais un moment. Il n'y avait rien que je puisse faire. Elle était au-delà du corps. Simplement j'étais là, accompagnant de ma présence tranquille, ce moment qu'elle vivait.

J'allais partir, je me tournais vers elle. Son départ était pour bientôt. Je le sentais à la couleur de sa peau, à sa respiration, à l'ambiance ici, quelque peu impressionnante, calme, avec un caractère numineux, sacré
Je sentais des présences lumineuses dans la pièce. Deux êtres semblaient très proches, comme à son chevet.

D'autres veillaient, dans un cercle plus large.

Je lui adressais ces paroles :
“- Ne résistez pas. Vous partez pour un grand voyage. Soyez tranquille. Laissez doucement votre corps, il n'en peut plus, il ne vous appartient déjà plus...
Vous êtes attendue ... Ayez confiance ...
Adieu. Madame."

Je quittais la pièce, plein d'une émotion sourde, faite de tendresse, de tristesse et d'amour. La sensation impalpable de ces présences m'avait ébranlé de nostalgie, de regret, mais aussi, d'une certitude, d’une joie vibrante. Je ressentais comme la reconnaissance d’une énergie, d’une puissance de vie et d’amour, au-delà de l’ordinaire et du quotidien, mais une énergie, une puissance dans lesquelles je m’enracine, qui font partie de moi, et que la vie m’aurait fait oublier ... J'étais déchiré : brûlant de joie et de nostalgie mêlées !
J'avais aussi une interrogation : Elle avait besoin de grandir, cette femme, alors ? Pourquoi finissait-elle ainsi ?

D'autres puissances, maintenant, veillaient son être.

....

Son corps cessa de vivre dans l'après-midi.

Vécu fin 1995.

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